Extrait du Traité de la vérité de la religion chrétienne Par Jean-Alphonse Turrettini 1755

 

CHAPITRE III.

 

Comment cette dernière prophétie de Notre Seigneur a été accomplie .

 

Heureusement, nous avons ici deux grands Historiens, de tous deux étrangers au Christianisme. Je veux parler de Joseph & de Tacite, Auteurs contemporains, l'un juif de naissance, témoin des événements qu'il rapporte, & qui y avait même eu assez de part: l'autre Sénateur Romain, qui bien que mal instruit des antiquités judaïques, l'était beaucoup mieux des affaires de son temps, surtout pour une guerre qui avait acquis tant de gloire a deux Empereurs. Quel dommage qu'une partie de ce qu'il avait écrit fur un sujet si intéressant, se soit perdu avec d'autres précieux morceaux de ses ouvrages !

 

Le Lecteur verra sans doute avec plaisir que nous rangeons ici les articles historiques dans le même ordre que ceux de la Prophétie, afin d'en mieux marquer le rapport.

 

1°. Dans l'intervalle de trente - sept ans qui s'écoulèrent depuis la mort de Notre Seigneur jusqu'au siège de Jérusalem, il y eut des agitations continuelles, des guerres & des bruits de guerre, qui allèrent toujours en croissant. Jamais si court espace de temps ne fut rempli de tant de troubles. D'abord, toute la Judée fut en alarme, par l'ordre que reçut Petrone Gouverneur de Syrie, de marcher à Jérusalem avec une armée, & de placer dans le Temple la statue de l'Empereur Caïus Catigula , pour y être adorée, en tuant tous les Juifs qui auraient la hardiesse de s'y opposer, & réduisant le reste du peuple en servitude.

 

Déjà Petrone était entré dans le pays avec ses troupes, quand à la prière des Juifs, il voulut bien surseoir à la chose, pour faire parvenir leurs supplications à Rome. Heureusement, la mort de ce Prince extravagant les tira de ce danger. * Sous Claude son successeur, la Judée fut remplie de meurtres & de brigandages. Un Galiléen ayant été tué en passant par la Samarie, les habitants de Jérusalem, dit Joseph,s'en émurent tellement que sans être retenus par la solennité de la fête & sans écouter les Magistrats, ils sortirent pour aller attaquer les Samaritains, sous la conduite d'Eleazar & d'Alexandre qui étaient chefs d'une bande de voleurs. Ils se jetèrent sur les frontières de l'Acrabatane, tuant tout sans distinction d'âge, faisant partout un grand carnage, & mettant le feu aux villes. Ce fut encore pire sous l'empire de Neron : de forte que le Gouverneur Felix se vit obligé de faire les derniers efforts afin de purger le pays d'un nombre incroyable de voleurs qui l'infestaient depuis vingt ans.

 

Mais il s'en éleva d'une autre espèce dans la ville même de Jérusalem. C'étaient des assassins qui poignardaient clandestinement tous ceux dont ils se voulaient défaire & qui mêlaient leurs cris à ceux du peuple pour n'être pas reconnus. Le premier qu'ils assassinèrent de la forte fut le grand Sacrificateur Jonathas. Il ne se passait aucun jour qu'ils n'en tuassent plusieurs de la même façon : ce qui remplit Jérusalem d'une telle frayeur, que l'on ne s'y croyait pas plus en sûreté qu'au milieu de la guerre la plus sanglante.

 

L'audace des esprits turbulents ne fit que croître sous la mauvaise administration Sallinus. On voyait les plus indignes de ces méchants environnés chacun d'une troupe de leurs parents, tandis que le Gouverneur de son côté se servit de ses satellites pour ravir le bien des faibles qui ne pouvaient lui résister. Il n'y avait personne qui ne tremblait sous la domination de tant de divers Tyrans, & tous ces maux étaient comme la semence de la servitude où tomba depuis cette misérable ville.

 

Geffius Florus enchérit encore sur Albinus par ses rapines & ses violences : ce qui causa des soulèvements qui remplirent Jérusalem de meurtres, de séditions & d'incendies. Les habitants de Césarée coupèrent la gorge à vingt-milles Juifs qui demeuraient dans leur ville. Les autres Juifs établis en Syrie s'en vengèrent en faisant partout de grands ravages. Ceux de Scythopolis, quoique Juifs massacrèrent par une indigne trahison, treize mille de leurs compatriotes. Ce cruel exemple fut suivi à Gaza, à Ascalon, à Ptolemaïde et à Damas. Mais ce fut bien pis à Alexandrie, où cinquante mille Juifs , hommes, femmes & enfants, furent inhumainement massacrées dans le quartier qu'ils habitaient. Les Romains ayant pris la ville de Joppe, les habitants fugitifs sur mer périrent presque tous, par la tempête & contre les rochers, ou par la poursuite des vaisseaux romains ; tellement, dit Joseph, que la mer n'était pas seulement couverte de naufrages, mais teintée de fang : l'on compta jusqu'à quatre mille deux cents morts qu'elle jeta sur le rivage. Il y eut suffi un combat naval sur la mer de Tiberiade, où périrent plusieurs milliers d'hommes.

 

Les Juifs n'avaient pas seulement à combattre un ennemi étranger ; ils se déchiraient cruellement, n'y ayant point de ville qui ne fut agitée de divisions intestines. La discorde avait commencé par des familles qui étaient depuis longtemps ennemies : cette inimitié s'étendit jusqu'au peuple. Ainsi, tout était en trouble. Ceux qui désiraient la guerre & les nouveautés & qui prirent le nom de zélateurs, l'emportaient par leur audace sur les personnes de sens rassis. Ces zélateurs s'étant jetés de la campagne dans Jérusalem, y commirent des attentats horribles, changèrent l'ordre du Sacerdoce, firent du Temple une Citadelle, massacrèrent les gens sages qui voulaient arrêter leur fougue, appelèrent à leur secours les Iduméens, & se divisèrent eux-mêmes en deux ou trois factions, prêtes à se réunir contre l'ennemi commun, mais se faisant entre elles tout le mal possible.

 

Que si l'on veut tourner les yeux fur le reste du monde, on verra d'un côté le royaume des Parthes déchirés par des guerres civiles, & de l'autre le vaste empire Romain, être, pour ainsi dire, tout en convulsion. Sur la fin de la vie de Neron, l'armée des Gaules se révolta ; il fallut que les légions de Germanie marchassent contre elle. Sa défaite n'empêcha pas l'armée d'Espagne de proclamer Empereur ; les légions de Germanie le reconnurent, & les Gardes prétoriennes de Rome ayant elles-mêmes abandonné Neron, cet indigne Prince périt misérablement. Galba ne fut pas plus heureux, car au bout de quelques mois les Prétoriens le massacrère, pour mettre Othon en sa place ; tandis que les troupes de Germanie & des Gaules s'avançaient avec un autre Empereur qu'elles avaient choisi : c'était Vitellius. Après divers chocs, les forces de ces deux rivaux se mesurèrent dans une sanglante bataille en Italie. La victoire de Vitellius ne mit pas fin aux dissensions : car outre les désordres & les meurtres commis à Rome par les soldats de cet Empereur, les légions d'Illyrie, de Syrie & d'Égypte, ne croyant pas devoir le céder aux autres armées pour le choix d'un Prince, depuis que ce n'était plus le Sénat qui le nommait, élurent Vespasien qui commandait alors avec ion fils Titus l'armée destinée à réduire les Juifs. Pendant plusieurs mois que dura cette concurrence, on vit toutes les Provinces inondées de troupes, & les mers couvertes de flottes. C'était toutes les forces de l'Orient rassemblées contre celles de l'Occident. Antonius Primus marchant en Italie pour Vespafien , remporta des victoires, brûla des villes, tint Vitellius comme assiégé dans Rome, & y eut un parti qui s'empara même du Capitole. Mais les Vitelliens les attaquant dans cet asile, brûlèrent ce fameux édifice, le centre & le trône de la domination romaine ; ce qui n'empêcha pas que la ville ne fut pris, Vitellius tué, & tout son parti opprimé. Tels furent les sinistres préludes du siège de Jérusalem, qui commençait précisément alors sous la conduite de Titus. L'Histoire ne fait donc ici que donner le commentaire de la Prophétie.

 

2. J'en dis autant du second article, qui porte qu'outre les malheurs de la guerre, il y aurait d'autres fléaux, comme des tremblements de terre, des pestes, des famines, & même de sinistres présages dans le Ciel . Tout cela s'est vérifié à la lettre. Car outre le grand tremblement de terre qui avait renversé douze villes d'Asie quelques années avant la mort de Notre Seigneur, & outre celui qui arriva a l'heure même qu'il expirait, il y en eut un sous Néron qui fit un grand dégât en Phrygie, & un autre deux ans après, qui n'en fit pas moins dans l'Achaïe & la Macédoine.

 

Plusieurs années de stérilité causèrent une famine qui fut presque générale sous l'empire de Claude, & dont la Judée en particulier se ressentit cruellement, à ce que témoigne Joseph. C'était l'an 44. depuis la naissance de Jesus-christ. Rome se vit aussi dans une extrême disette sous Vitellius, quand Vespasien fon compétiteur retenait les convois d'Égypte, & l'on sait quelles furent les horreurs de la famine à Jérusalem pendant le siège. Rome fut désolée sous Néron d'une furieuse perte qui emporta trente mille âmes dans un seul automne. La mortalité se fit de même sentir en d'autres lieux, surtout après les ravages de la guerre. C'est ainsi qu'après le combat que nous avons dit qui se donna fur la mer de Tiberiade, ce Lac, dit Joseph, était rouge de sang, & le rivage couvert de corps morts. Bientôt ces corps enflés & livides corrompirent tellement l'air par leur puanteur, que toute cette contrée en fut infectée. Le même Auteur dit, que comme il n'y avait pas de la place à Jérusalem pour loger une infinie multitude de Juifs que la fête de Pâques y avait attirés & qui s'y trouvèrent enfermée par le siège, la peste s'y mit & fut bientôt suivie de la famine.

 

À l'égard des choses extraordinaires que l'on prenait pour des augures sinistres, (& il suffit qu'on en eût cette idée, pour devoir les faire entrer dans une description prophétique) outre l'horrible tempête & les tremblements de terre que nous venons de rapporter d'après Joseph, voici ce que dit, le même Auteur: Une Comète, qui avait la figure d'une épée, parue sur Jérusalem durant une année entière. De plus avant que la guerre fût commencée, le peuple s'étant assemblé le huitième du mois d'avril pour célébrer la fête de Pâques, on vit à la neuvième heure de la nuit, durant une demie-heure, autour de l'autel & du Temple, une si grande lumière, que l'on aurait crû qu'il était jour. Les ignorants prirent la chose à bon augure : mais ceux qui étaient instruits dans les choses saintes, la regardèrent comme un présage des évènements que l'on vit bientôt après. Il arriva aussi qu'environ la sixième heure de la nuit, la porte du Temple qui regardait l'Orient, porte d'airain & si pesante que vingt hommes pouvaient à peine la remuer ; cette porte, dis-je, s'ouvrit d'elle-même, quoiqu'elle fût fermée avec de grosses ferrures, avec des barres de fer, & des verrous qui entraient bien avant dans le feuil fait d'une seule pierre. Les gardes du Temple, en donnèrent aussitôt avis au Magistrat, qui s'y rendit, & ne trouva pas peu de difficulté à la faire refermer. Les ignorants interprétèrent encore cela comme une marque que Dieu ouvrait ses mains en leur faveur pour les combler de toutes sortes de biens. Mais les plus habiles jugèrent au contraire que le Temple tendait à sa ruine & que l'ouverture de ses portes n'était un présage favorable que pour les Romains.

 

Un peu après la fête, il arriva le vingt-septième jour de mai une chose que je craindrais de rapporter, de peur qu'on ne la prît pour une fable, si des personnes dignes de foi ne disaient l'avoir vue. Avant le lever du Soleil, on aperçut en l'air dans toute cette contrée des chariots pleins de gens armés traversant les nues & courant autour des villes comme pour les enfermer.

 

Le jour de la fête de Pentecôte ; les Sacrificateurs étant la nuit dans l'intérieur du Temple pour célébrer le service divin, ils entendirent d'abord un bruit confus, & puis une voix qui répéta à plusieurs reprises : Sortons d'ici.

 

La plupart de ces faits sont confirmés par Tacite : II arriva, dit-il, des prodiges dont cette nation superstitieuse ne croit pas qu'il n’y ait ni hostie, ni vœux, qui puissent détourner l'effet. On vit des armées qui combattaient en l'air, des armes, étincelantes, & une flamme venant des nuées qui resplendit tout d'un coup dans le Temple. Les portes du Sanctuaire s'ouvrirent subitement, d'elles-mêmes ; & l'on entendit une voix plus qu'humaine qui criait que la Divinité abandonnait ce lieu ; ce qui fut suivi d'un mouvement comme de gens qui sortent.

 

Quoique plusieurs de ces faits, à les envisager philosophiquement, puissent n'être en eux-mêmes que des accidents singuliers ou des phénomènes naturels, comme l'apparition d'une Comète & comme ces combats en l'air, qu'on sait aujourd'hui n'être souvent que de grands mouvements d'une lumière extraordinaire qu'on nomme l'Aurore boréale ; il est raisonnable de penser que le concours de tant de singularités entrait dans le plan de la divine Providence pour faire impression sur les esprits ; & l'Historien comme le Prophète, qui ne considère ces sortes de choses que par leur effet, selon les idées populaires & communes, est bien en droit d'en parler comme de signes extraordinaires, qui n'étaient rien moins qu'indifférents dans une conjoncture si critique.

 

3°. Le 3e point de la Prophétie de Notre Seigneur porte que pendant tout cet intervalle ses disciples seraient haïs, tourmentés & persécutés, tant parmi les Juifs que parmi les Gentils. Nous avons déjà eu occasion de toucher cet article au chapitre précédent : & il ne faut qu'ouvrir le Livre des Actes et voir ce que rapportent Tacite & Suétone de l'horrible cruauté de Néron contre les chrétiens, pour avouer que cette prédiction ne fut que trop littéralement accomplie.

 

4°. Jésus Christ ajoute que malgré cela, on verrait dans cet espace de temps, c'est-à-dire en moins de quarante années, l'Évangile annoncé en tous lieux & reçu d'une infinité de gens. En effet, nous montrerons dans le livre suivant, qui doit rouler sur la propagation de l'Évangile, que ce point de la prophétie ne fut pas moins bien accompli que tout le reste.

 

5° Pour ce qui est des faux Christs & des faux Prophètes qui devaient s'élever dans ce temps là ; outre ce Théudas & ce Judas Galiléen , dont parle Gamaliel au chapitre V. des Actes, on vit un certain Simon se donner à Samarie pour magicien, & se faire appeler la grande vertu de Dieu. Joseph parle aussi en un endroit des faux Prophètes qui leurraient les Juifs de vaines espérances. Aux assassins, dit-il, qui infestaient Jérusalem, il se joignit un autre mal qui ne troubla pas moins cette grande ville. Ceux qui les, causèrent n'étaient pas, comme les premiers, des meurtriers qui répandaient le sang humain : c'étaient des impies & des perturbateurs du repos public qui, trompant le peuple fous un faux prétexte de religion, le menaient dans des solitudes, avec promesse que Dieu y ferait voir des signes manifestes qu'il les voulait affranchir de la servitude. Felix prenant ces assemblées pour un commencement de révolte, envoya contre eux de la cavalerie & de l'infanterie, qui en tua un grand nombre.

 

Un autre plus grand mal affligea encore la Judée. Un faux Prophète Égyptien, grand imposteur, enchanta tellement le peuple, „ qu'il r'assembla près de trente mille hommes, les mena sur la montagne des oliviers & au-delà, suivi de quelques gens qui lui étaient assignés, marcha vers Jérusalem dans le dessein d'en chasser les Romains & de s'en rendre maître pour y établir le siège de sa nouvelle domination. Mais Felix alla à fa rencontre avec des troupes Romaines & avec un assez grand nombre d'autres Juifs. On en vint aux mains : plusieurs de ceux qui suivaient l'Égyptien furent taillés en pièces, & il se sauva avec le reste

 

Après tant de soulèvements réprimés, il semblait que la Judée dût jouïr de quelque repos. Mais comme il arrive dans un corps dont toute l'habitude est corrompue, qu'une partie n'est pas plutôt guérie que le mal se jette d'un autre côté, quelques voleurs attroupés exhortèrent le peuple à secouër le joug des Romains, menaçant de tuer ceux qui voudraient demeurer dans une si honteuse servitude. Ils se répandaient dans tout le pays, ils pillaient les maisons des riches, les tuaient, mettaient le feu aux villages & le mal allant toujours en croissant, ils remplirent toute la Judée de désolations & de troubles.

 

Le même Auteur racontant au Livre VI. comment périrent six milles personnes par le feu que mirent les soldats de Titus à une galerie du Temple, il ajoute que ces misérables n'étaient montés là qu'à la persuasion d'un faux Prophète, qui les avait assurés qu'ils y recevraient en ce jour le secours de Dieu. Car les factieux se servaient de ces sortes de gens pour tromper le peuple, & pour retenir par de vaines promesses ceux qui voulaient passer chez les Romains. Ces pauvres gens étaient d'autant plus à plaindre, qu'ajoutant aisément foi à des imposteurs qui abusaient du Nom de Dieu pour les séduire, ils fermaient les yeux & les oreilles aux signes certains & aux vrais avertissements par où Dieu leur avait annoncé leur ruine.

 

Quoique Joseph évite d'employer le mot de Christ ou de Messie, parce qu'il écrivait pour les Grecs & pour les Romains qui ne l'auraient pas compris, il insinue assez que quelques-uns abusaient de ce nom, quand il dit que rien ne détermina plus les Juifs à s'engager dans cette malheureuse guerre, que l'ambiguïté d'un oracle trouvé dans leurs Livres Sacrés, portant que l'on verrait en ce temps là un homme sorti de leur contrée commander à toute la Terre. Nous avons déjà vu avec quelle flatterie Joseph applique cet Oracle à Vespafien. Mais en l'abandonnant comme un interprète trop courtisan, écoutons - le comme Historien. Il en dit assez pour ne pas laisser douter que plus d'un imposteur, ou d'un fanatique, n'ait pris effectivement le nom de Messie, si capable alors d'émouvoir les esprits. Origène parle au moins d'un certain Dosithé qui osa prendre cette qualité.

 

6°. Quant à la comparaison des aigles acharnées fur un corps mort il n'y en eut jamais de plus juste. Ce furent véritablement les aigles Romaines, c'eft à dire, les légions, qui poursuivirent les Juifs de lieu en lieu pour les dévorer, & qui enfin s'attroupèrent fur Jérusalem comme fur un monceau de cadavres. À ne prendre même le mot d'aigle qu'au sens figuré, quoi de plus semblable à des oiseaux carnassiers qui viennent fondre fur leur proie, que ces fières Légions si avides de fang & de butin ? Joseph se sert précisément de la même figure, en disant que Jérusalem fut comme un corps exposé à la fureur des bêtes féroces.

 

7°. Une des circonstances dont parle Notre Seigneur, c'est qu'on devait voir dans le Lieu saint l'abomination dont parle Daniel, ou une abomination semblables ; c'est-à-dire qu'on verrait apporter à Jérusalem ou même dans le Temple, des Idoles ou des choses profanes ; où qu'il se commettrait dans le Temple même des impiétés & des sacrilèges . En effet, quel attentat plus semblable à celui d'Atiochus Epiphanes que l'ordre donné par Caligula, de placer sa statue dans le Temple pour y être adorée ? Il est vrai que cet ordre n'eut pas son entière exécution : mais la statue était déjà dans le pais, les troupes marchaient, & toute la Nation fut en alarme , ce qui suffit pour donner lieu à parler de cet événement comme d'une circonstance très affligeante, qui était le signal de plus grands malheurs.

 

Ce fut aussi une horrible profanation que tant de sang répandu dans le Temple même, comme le meurtre du vénérable vieillard Zacharie fils de Baruch, & d'une infinité de gens qui venaient sacrifier. Au lieu d'être en sûreté dans cet asile, dit Joseph, ils étaient tués par les pierres que lançaient les machines de Jean, dont les coups portaient jusque sur l'autel, & tuèrent les Sacrificateurs avec ceux qui offraient les sacrifices. Ainsi, l'on en voyait qui venaient des extrémités du monde pour adorer Dieu dans ce lieu saint, tomber morts avec leurs victimes, & arroser de leur sang cet autel révéré non-feulement des Grecs, mais des Barbares. Les sacrilèges furent poussés au point d'interrompre absolument les offrandes ordinaires. Et voici le reproche que faisait Joseph à ces factieux, lorsqu'il eut ordre de Titus de leur parler pour les faire rentrer dans leur devoir : « Qu'il ne fait ce qu'ont prédit les Prophètes, que cette ville infortunée sera détruite, quand on verra ceux qui ont l'avantage d'être nés Juifs, leurs mains du sang de leurs propres citoyens ? Ce temps est arrivé, puisque non seulement la ville, mais le Temple, sont pleins des corps de ceux que vous avez si cruellement massacrés. Ainsi peut-on douter que Dieu lui-même ne se joigne aux Romains pour expier par le feu tant d'abominations & de crimes ? »

 

8°. Quant a ces paroles de Notre Seigneur : Tes ennemis t'environneront de tranchées & te serreront de toutes parts & celles ci, quand vous verrez Jérusalem investie par une armée, sachez, que sa fin est proche : c'était dire assez clairement que la guerre se terminerait par le siège de la Capitale, que ce siège serait long, & que l'on y emploierait tous les travaux usités dans l'art de la guerre. C'est ce qui arriva en effet. Car après que Vespasien eut emporté plusieurs places, & livré divers combats pendant deux ans, Titus la troisième année s'approcha de Jérusalem. Cette ville très forte d'assiette l'était encore plus par sa triple enceinte de murs & de tours d'une hauteur extraordinaire. Le temple même servait de Citadelle, & il n'y avait pas jusqu'à ses galeries qui ne fussent des pièces de défense. On n'y comptait pas moins de six cent mille âmes, entre lesquelles, dit Tacite, il y avait plus de combattants que l'on n'en compte d'ordinaire dans un pareil nombre. Titus sentant toute la difficulté de l'entreprise & ne voulant pas trop exposer ses troupes, fit faire de grands travaux pour enfermer la ville, & pour couvrir son camp ; fossés, retranchements, terrasses, redoutes, machines de guerre tant ancienne que de nouvelle invention, rien ne fut oublié pour serrer la place & pour faire les approches.

 

9°. Au milieu de cette désolation générale il devait pourtant y avoir, dit Notre Seigneur, des élus pour qui ces mauvais jours seraient abrégés, c'est-à-dire, qui échapperaient à une partie de ces maux, & qui ne se trouveraient pas enveloppés dans la ruine commune. C'est ce qui arriva en effet à plusieurs Juifs pacifiques, qui dès le commencement de la guerre, prirent le sage parti de la soumission. Avant, le siège de Jérusalem, un grand nombre des plus sensés sortirent de la ville, comme on quitte un vaisseau qui coule à fond & pendant le siège même, plusieurs des Sénateurs & des autres citoyens, ne pouvant plus supporter la tyrannie des factieux, se réfugiaient vers Titus qui les recevait avec bonté & leur permettait de se retirer où ils voudraient.

 

Quelque temps après, on vit prendre le parti à Joseph et Jesus, deux des principaux sacrificateurs, à trois fils de cet Ismael qui avait eu la tête tranchée à Cyrene & au quatrième fils de Matthias qui s'était sauvé lorsque Simon, l'un des Chefs des rebelles, avait fait mourir son père & trois de ses frères. Plusieurs autres des plus distingués suivirent cet exemple. Titus les traita favorablement & jugeant qu'ils auraient de la peine à vivre avec des étrangers, il les envoya à Gophna, avec promesse de leur donner des terres quand la guerre serait finie & ils y allèrent avec joie.

 

Mais ceux qui se retirèrent le plus à propos, & à qui appartient proprement le nom d'élus, ce sont les Chrétiens, qui sur l'avertissement de Dieu donné à de saints hommes, dit Eusèbe (par où il a bien pu entendre autre chose que la prédiction faite par Jesus-christ à ses Apôtres ) quittèrent tous Jérusalem avant le siège pour aller demeurer dans une ville au-delà du Jourdain nommée Pella, qui dépendait du Roi Agrippa.

 

10°. C'est alors qu'on vit cette malheureuse nation faire la triste expérience de ce qu'avait dit Notre Seigneur, que le pays ferait réduit à d'horribles extrémités, que la colère de Dieu tomberait sur ce peuple, & que la désolation serait telle qu'on n'en avait jamais vu de semblable. Les Romains, dit Joseph, pour élever leurs plates-formes, avaient fait un tel dégât à quatre-vingt-dix stades aux environs, qu'il n'y restait pas un seul arbre & que les magnifiques faubourgs de cette Capitale n'étaient plus que des masures. La guerre avait tellement détruit une contrée si favorisée de Dieu, qu'il ne lui restait pas la moindre marque de son ancienne beauté, & que l'on cherchait Jérusalem dans Jérusalem même. Outre les assauts d'un puissant ennemi, l'on eut à souffrir toutes les horreurs de la famine, & ce qui est encore plus extraordinaire, les fureurs de trois factions intestines, qui se déchiraient avec une rage inouïe, se faisant plus de mal entre elles que ne leur en faisait l'ennemi. Ce n'était que voleries, massacres, incendies, trahisons, brigandages, & quand il arrivait à quelques-uns de s'échapper, l'opinion où étaient les soldats Romains que ces gens-là avaient avalés de l'or pour le cacher, donnait lieu à des actes de barbarie, dont la seule idée fait frémir. Nous n'entrerons pas dans l'affreux détail que fait Joseph, de tous les maux que souffrit cette misérable ville : mais il est sûr qu'on ne vit jamais tant d'horreurs rassemblées.

 

11°. Le siège se termina comme l'avait dit Notre Seigneur, par le saccagement & la ruine entière de la Ville & du Temple. Titus aurait bien voulu conserver ce bel édifice : de là vient qu'il conjurait ceux qui le défendaient encore, de ne pas le forcer d'en venir aux dernières extrémités & alors même qu'il s'en fut emparé par assaut, il défendit sévèrement qu'on y fit aucun dommage. Cependant, dit Joseph, un soldat contre ses ordres & sans appréhender de commettre un si horrible sacrilège, mais comme poussée par une cause supérieure, se fit élever par un de ses compagnons jusqu'à une fenêtre, d'où il jeta une poutre enflammée. Le feu prit aussitôt à cette partie du bâtiment & dans un tel désastre les Juifs jetant des cris effroyables couraient pour y remédier. Titus lui-même y accourut avec ses principaux Officiers & des soldats pour éteindre le feu. Mais il eut beau crier de toute sa force; la confusion & le tumulte empêchaient qu'on ne l'écouta & les troupes mêmes feignant de ne point entendre l'ordre du Prince, exhortaient les plus avancés à mettre le feu. Pendant qu'une partie des édifices brûlait, Titus entra avec sa fuite dans le Sanctuaire & dit après l'avoir considéré, que sa magnificence surpassait de beaucoup ce que la renommée en publie au dehors. Ne pouvant le sauver, il en fit emporter les plus beaux ornements pour servir à son triomphe. Les Sacrificateurs qui s'étaient retirés sur un mur du Temple, furent contraints de se venir rendre à lui en implorant sa clémence. Mais il leur répondit qu'il n'en était plus temps & qu'il fallait que les Prêtres périssent avec leur Temple. Ainsi, on les mena au supplice. Il abandonna ensuite la Ville au pillage & permit d'y mettre le feu ; ce qui fut bientôt exécuté. L'embrasement consumait avec les maisons les cadavres, dont les rues de la ville étaient pleines. Comme les Romains étaient las de tuër, & qu'il restait encore une grande multitude de peuples, Titus commanda de l'épargner, & de ne passer au fil de l'épée que ceux qui se mettraient en défense. Mais les soldats ne lassèrent pas de tuer contre son ordre les vieillards & les gens débiles, ne gardant que ceux qui étaient vigoureux & capables de servir comme esclaves. On fit mourir les voleurs & les séditieux qui s'accusaient l'un l'autre. On réserva pour le triomphe, les plus robustes & les mieux faits ; on envoya enchaînés en Égypte ceux qui étaient au-dessus de dix-sept ans pour travailler aux ouvrages publics & l'on en distribua un grand nombre dans les Provinces pour être donnés en spectacle comme des gladiateurs ou pour combattre avec les bêtes. Quant à ceux qui étaient au-dessus de dix-sept ans, ils furent vendus. Pendant que l'on disposait ainsi de ces misérables captifs, il y en eut onze mille qui moururent, les uns parce que les gardes qui les haïssent ne leur donnaient point à manger ; les autres parce qu'ils refusaient eux-mêmes les aliments, tant ils étaient las de vivre & aussi parce qu'on avait de la peine à trouver du blé pour nourrir tant de gens. Le nombre des prisonniers durant cette guerre monta à quatre-vingt-dix-sept milles ; & le siège de Jérusalem coûta la vie à onze cent mille, dont la plupart, quoique de race juive, n'étaient pas nés en Judée, mais y étaient venus de toutes les Provinces pour solemniser la fête de Pâques, & s'étaient ainsi trouvés enveloppés dans ce commun désastre. Lorsque l'armée Romaine qui ne se lassait point de tuer de piller, ne trouva plus de quoi exercer fa fureur, Titus commanda de raser la ville jusqu’'aux fondements, à la réserve de quelques tours qu'il voulut conserver comme un monument qui ferait connaître a la postérité quelle était la force & la science militaire des Romains à qui de tels remparts n'avaient pu résister. Ses ordres furent si ponctuellement exécutés, qu'on ne vit plus dans ce lieu-là aucune trace d'habitation. L'Empereur ordonna à son Intendant de vendre toutes les terres du pays, se les réservant pour son domaine sans y bâtir aucune ville & de laisser feulement une garnison de huit cens hommes à Ammaüs, qui n'est éloignée de Jérusalem que de trente stades. Ce même Prince ordonna que les Juifs en quelques lieux qu'ils fissent, payassent chacun par an deux dragmes au Capitole , comme ils les payaient auparavant au Temple de Jérusalem. Telle fut la misère & la dispersions où se trouvèrent réduits les restes de ce peuple infortuné.

 

Afin qu'il ne restât aucun vestige de la splendeur de cette nation ni de son culte, les ordres de l'Empereur s'étendirent jusque sur ce temple, qu'Onias, par la permission du Roi Ptolémée, avait bâti en Égypte dans la contrée d'Heliopolis, sur le modèle de celui de Jérusalem. Paulin, Gouverneur d'Égypte, contraignit les Sacrificateurs par de grandes menaces, à lui en apporter tous les ornements : après quoi il fit fermer le Temple, fans souffrir que personne n’y allait plus adorer Dieu, abolissant ainsi jusqu'aux moindres vertiges de ce culte. Il y avait alors plus de six cens ans, dit Joseph, que le Prophète Isaïe avait prédit que ce Temple bâti en Égypte par un Juif ferait détruit.

 

Ce n'est pas le seul exemple allégué par cet Auteur de prophéties qui ne nous sont point parvenues. Il en avait déjà cité une sur la tour Antonia, dont la prise devait être le présage certain de la ruine de la ville. On voit par-là que les Juifs pouvaient avoir des écrits ou des traditions prophétiques qui nous manquent : ce qui (pour le dire en passant) a bien pû donner lieu à diverses citations & allusions des Apôtres, dont nous ne voyons pas si bien la raison aujourd'hui.

 

XII. Notre Seigneur en faisant cette affreuse, mais fidèle peinture des malheurs de Jérusalem, n'avait pas oublié d'en marquer le terme fatal, en disant : cette génération ne passera point que toutes ces choses ne soient accomplies. En effet, la guerre commença ouvertement l'an 66. après la naissance de Jesus-Christ & se termina l'an 70. Il n'y avait donc guères plus de trente-trois ans écoulés depuis qu'il avait pronononcé cette prédiction. Quoi de plus exact & de plus juste ?

 

XIII. Enfin Notre Seigneur avait dit que cet événement ferait un de ceux où l'on verrait le plus hautement se déployer la main de Dieu, pour punir une nation orgueilleuse, ingrate & meurtrière, qui avait rejeté tant de Prophètes, qui avait tué le Messie envoyé pour leur salut & qui persécutaient encore ses disciples avec tant de fureur, comme s'en plaint S. Paul dans cet endroit remarquable de l'Épître aux Theslaloniciens II. 14. où il semble aussi entrevoir ce qui allait arriver : Vous avez souffert de vos compatriotes les mêmes maux que les Églises de Dieu qui sont en Judée ont souffert des Juifs; de ces Juifs qui ont même fait mourir le Seigneur Jésus & leurs propres Prophètes qui nous ont persécutés, qui déplaisent à Dieu, & sont les ennemis de tous les hommes qui nous empêchent de parler aux Gentils pour leur salut ; de sorte qui'ils ne cessent de remplir la mesure de leurs péchés : Aussi la colère de DlEU contre eux est-elle parvenue à son comble.

 

En effet, où trouver dans l'Histoire aucun événement, excepté le Déluge & l'embrasement de Sodome & de Gomorrhe, qui porte plus ouvertement tous les caractères d'un châtiment du Ciel, & qui par là méritassent mieux de nous être dépeints comme une image ou un prélude du Jugement dernier ? On vit alors tous les fleaux de Dieu se déchaîner à la fois, avec des circonstances très aggravantes & presque inouïes. On vit aussi ce que l'Écriture Sainte donne pour une marque particuliére de malédiction, c'est l'esprit de vertige & d'étourdissement, dont toute une nation paraît frappée. Les Payens disaient de même, que lorsque Jupiter veut perdre quelqu'un, il lui ôte le sens. Jamais cela n'a mieux parû que dans cette rencontre. Quelque offre que leur fit Titus, & quoi que pussent leur représenter le Roi Agrippa & les plus sages de la Nation, ces furieux n'écoutaient rien : Quelles que soient vos iniquités, leur disait Joseph, Dieu est si bon qu'il se laisse fléchir par la repentance & il vous reste encore un moyen de vous sauver. Posez les armes ; ayez pitié de votre patrie réduite à une telle extrémité ; ouvrez les yeux pour contempler la beauté de cette ville, la magnificence de ce Temple, la richesse des dons offerts à Dieu par tant de nations. Ne frémissez-vous point en pensant que toutes ces choses vont être exposées au pillage ? Considérez que ces malheurs ne pourront être imputés qu'à vous, puisse que votre feule opiniâtrée est le flambeau qui allumera le feu, par lequel des choses si dignes d'être conservées feront réduites en cendres. Mais en vain Joseph & d'autres réitéraient de telles remontrances. Les factieux étaient d'une obstination inconcevable, qui força enfin Titus de ne plus les épargner, non sans lui laisser toujours des regrets du parti extrême qu'il était forcé de prendre. Et même après que la guerre fut terminée, ce Prince repassant par Jérusalem, qui n'était plus qu'une affreuse solitude ; loin de s'applaudir comme aurait fait un autre, d'avoir vû tomber une si puissante ville sous l'effort de ses armes; il s'attendrit à la vue du déplorable état où elle était réduite, & fit des imprécations contre les auteurs de la révolte, qui l'avaient contraint d'en venir à cette extrémité, contre son inclination si éloignée de chercher sa gloire dans le malheur des vaincus.

 

Mais quelque affreuse que fût cette punition des Juifs, leur Historien est obligé de convenir qu'elle n'était point au-dessus de leurs iniquités. Qui nous a attiré sur les bras les armes des Romains, leur disait-il, sinon nos divisions & nos crimes ?.. En effet, y a-t-il quelque mauvaise action que vous n'ayez pas commise ? & de combien surpassez-vous ceux que l'on a vû subitement accablé des foudres de la justice vengeresse du Ciel ? Je ne crois pas que les impiétés de nos pères, qui attirèrent contre eux les armes du Roi de Babylone, fussent comparables aux vôtres. Sans doute Dieu voyant ces saints lieux fouillés de tant d'abominations les a abandonnés. Un honnête - homme qui voit que tout est gâté dans sa maison, la quitte, & change en haine l'affection qu'il lui portait : comment donc voudriez-vous que Dieu, à qui rien n'est caché, demeurât encore avec vous, quand vos crimes sont si publics que personne ne les ignore ?

 

Que l'on pardonne à ma douleur ce que je vais dire, ( poursuit le même Écrivain) je crois en vérité que si les Romains eussent différé de venir punir ces coupables, la terre se serait ouverte pour engloutir cette misérable ville, ou elle aurait péri par un déluge, ou elle eût été consumée par le feu comme Gomorrhe : puisque les abominations qu'on y a commises sont au-dessus de celles qui contraignirent la justice Divine de lancer ses foudres fur cette autre ville détestable. Une autre marque de l'aveuglement des Juifs, c'est qu'en prenant le parti de la résistance, ils se servirent très mal de leurs avantages. Car à voir leur nombre, leur audace, les grands préparatifs qu'ils avaient faits & la force extraordinaire de leurs remparts, il semblait que Jérusalem pouvait braver plusieurs années l'effort des Romains. Mais leur propre folie rendit inutiles tous ces moyens de défense puisque, comme on l'a dit , ils s'égorgeaient les uns les autres avec une fureur inconcevable ; ils se brûlaient leurs magasins & se réduisaient eux-mêmes à une telle disette, que leur multitude qui devait faire leur force, leur devint à charge. Dieu qui avait condamné ce peuple à périr, dit Joseph permis que tout ce qui aurait pu contribuer à son salut, tourna à la perte. Car le comble des malheurs de Jérusalem, est d'avoir produit cette engeance de vipères, qui en déchirant le sein de leur mer, ont été la cause de sa ruine. Dans la défense même de la place, ils commirent des fautes qu'on peut bien regarder comme l'effet d'un aveuglement extraordinaire. C'est ce que reconnut fort bien Titus, lorsqu'étant entré dans la ville, il en admira les fortifications, & ne put voir sans étonnement la force & la beauté de ces tours que les tyrans avoient eu l'imprudence d'abandonner. Après avoir considéré attentivement leur hauteur, leur largeur, la grandeur tout extraordinaire des pierres, avec combien d'art elles étaient jointes ensemble, il s'écria: l'on voit bien que le Ciel a combattu pour nous & a chassé les Juifs de ces tours, puisqu'il n'y avait point de force humaine ni de machines capables de les y forcer. Après cette exposition historique, que nous avons cru devoir pousser jusqu'à un certain détail, il n'est pas nécessaire de s'étendre beaucoup en réflexions sur l'admirable conformité de la Prophétie avec l'événement. La chose parle assez d'elle-même. Sans doute il n'y a qu'une Sagesse supérieure qui a pu si bien prévoir & si bien dépeindre de tels événements longtemps avant qu'ils arrivassent & il faut avouer que c'est là un trait de divinité qui ne le cède point à un miracle proprement dit. Je remarquerai aussi qu'il est heureux qu'un homme tel que Joseph ait été conservé au milieu des grands périls qu'il avait couru, afin d'écrire une Hisoire aussi intéressante & que cette Histoire ait échappé à l'injure du temps, afin que nous eussions par-là un témoignage irréprochable du parfait accomplissement de la prédiction de Jesus christ.